Il était géolocalisé dans mon quartier de Saint-Sulpice. Son visage avait une sensualité frappante. Le dialogue s’est engagé, sans entrave. Paris est petit pour les adeptes des sites de rencontre. Par texto, dans les jours qui suivaient, no
us avons fait plus ample connaissance. Il habitait rive droite, moi rive gauche. Une paille, juste la Seine, pour nous séparer. Il a proposé qu’on se retrouve au Palais Royal. C’était son jardin préféré. Je lui ai vanté les beautés du Luxembourg, vaste, ordonné et inchangé comme dans un tableau de Charles Courtney Curran. Dans la journée, il m’envoyait des MMS de toits de Montmartre, j’instagrammais des déclarations d’amour imprimées par des Street Artists sur le bitume du boulevard Saint-Germain. Attendu nos divergences de vue sur les jardins, Il est apparu qu’un musée nous conviendrait mieux. Très vite, il m’a donné rendez-vous à celui de la Vie romantique, rue Chaptal dans le neuvième. J’ai trouvé ça mièvre. Je lui ai fait savoir, non sans tact, que je préférais la sensualité brute du musée Rodin. Il était en route, soi-disant, quand il a dû annuler, coincé dans un embouteillage du boulevard Magenta, dixième arrondissement. Je n’en fantasmais que davantage sur sa bouche charnue qui hantait, sur les réseaux sociaux, sa photo de profil. Manifestement, de son côté, son esprit s’échauffait également sur les choses du corps puisqu’il me proposa ce grand classique pour reluquer ce que l’on convoite avec force : une séance de piscine. J’ai bientôt reçu par WhatsApp une très belle photo de celle de l’espace Pailleron, classée monument historique dans le XIXe. En dépit d’une curiosité analogue pour son anatomie, j’ai dû expliquer que je ne ferais jamais d’infidélité à ma piscine Pontoise, dans le cinquième arrondissement où le réalisateur Kieslowski a tourné « Bleu ». Il proposa une séance de cinéma au Grand Rex, je lui vantai l’intimité cinéphile de la Pagode avant qu’elle ne ferme. Bientôt, cet homme-là m’apparut légèrement étroit d’esprit. Etait-ce moi, ou il semblait comme arrimé à sa rive ? Il fit part d’une observation similaire pour sa part. Il me lança cet ultimatum : le retrouver au bout du Pont des Arts, côté rive droite. Je m’y rendis comme convenu un mardi à 18 heures. Au loin, je vis sa silhouette féline, son sourire merveilleux. Je balançai un pied au dessus du fleuve sur le ponton en bois pour le rejoindre quand je fus prise de vertiges. Je me souviens ensuite de mon arrivée à l’Hôtel-Dieu sur un brancard. Un médecin grisonnant m’y lança ce diagnostic ultime : « maladie orpheline dite de « rivegauchite » appelée « sartriose à syndrome de Vian », communément nommée phobie de la rive droite.
Anaïs Ferrand