« Il n’y a que deux sujets de chansons possibles : l’amour… et Paris », disait George Gershwin.
Saint-Germain devra attendre son âge d’or, après la Libération, pour être vraiment chanté. Mais pas sur le moment : au Tabou, on s’enivre davantage de jazz et de swing que de chansons à texte, on écoute Miles Davies ou Sidney Bechett plutôt que Ferré ou Barbara. Et les acteurs de l’épopée, de Boris Vian à Prévert, de Queneau à Juliette Gréco préfèrent vivre Saint-Germain que le chanter. Indice troublant : la seule chanson écrite par Sartre, et fredonnée dans Huis-Clos, ne choisit pas Saint-Germain pour théâtre, mais la rue des Blancs-Manteaux… dans le Marais. Rive droite !! C’est dans l’après-coup que « le style rive-gauche » trouvera ses « lieux communs », ces incubateurs de talents que furent La Rose Rouge, Les Trois Baudets, L’Écluse… ces théâtres où se façonnera le mythe. Il faut attendre le début des années 60, pour que Guy Béart chante « Il n’y a plus d’après » :
Tu viens me dire bonjour
Au coin d’la rue du Four
Tu viens me visiter
À Saint-Germain-des-Prés
Le coup de génie fut de confier la chanson à Juliette Gréco. L’égérie se retournait sur son passé et, dans une saisissante mise en abyme, créait en même temps qu’elle le chantait un âge d’or révolu : « tu viens me visiter ». Comme un parent malade, une amante… ou un musée ?! Avec « À Saint-Germain-des-Prés », Léo Ferré offre une promenade poétique au piéton de Paris, mêlant les noms et les époques.
Si vous passez rue de l’Abbaye
Rue Saint-Benoît, rue Visconti,
Près de la Seine
Regardez l’monsieur qui sourit
C’est Jean Racine ou Valéry
Peut-être Verlaine
Avec lui, Saint-Germain devient le territoire des poètes, une métaphore urbaine de la poésie. Ici, les poètes sont chez eux. Avant d’y être délogés. Cinquante ans plus tard, Dany Brillant lui rendra un nostalgique hommage avec « J’habitais Saint-Germain des-Prés » :
J’habite à Saint-Germain-des-Prés
Et tous les jours je m’y promène
Rue Jacob au Vieux Colombier
Je dis bonjour à tous gens que j’aime
J’aime me balader le long des quais
Remonter à Saint-Germain-des-Prés
Retrouver mes copains, tous mes poètes
Mais plus rien n’est comme avant :
Peu à peu ils ont remplacé
Nos livres qui étaient plein de nos rêves Par du tissu bien ficelés
Des habits qui sont des cache-misères
Ce thème du Saint-Germain-des-livres vaincu par le Saint-Germain-des-fringues, c’est à Alain Souchon qu’on le doit. Chroniqueur délicat et navré de notre ultra- moderne solitude, il témoigne des librairies qui ferment, remplacées par des enseignes de luxe. Notons la date : 1999. Comme un ultime témoignage au siècle qui s’achève.
Adieu mon pays
De musique et de poésie
Les marchands de malappris Qui d’ailleurs ont déjà tout pris
Viennent vendre leurs habits en librairie
Saint-Germain en bal(l)lades, c’est une flânerie qui fredonne qu’il est toujours trop tard, comme Serge Reggiani :
C’est un autre que moi demain
Qui t’emmènera à Saint-Germain
Prendre le premier café-crème
Il suffisait de presque rien
Peut-être dix années de moins
Pour que je te dise « je t’aime ».
Il y a toujours un après à Saint-Germain-des-Prés. Qui permet de le chanter, dans la nostalgie de ce qu’il était… avant !
Michel Field