Jean-Baptiste van Loo, 1728 – Portrait de Saint-Simon (détail) – Château de Chasnay, collection particulière.

On croit souvent que le grand mémorialiste n’a vécu qu’à Versailles, pourtant non, car c’est sur la Rive Gauche qu’il a écrit en secret ses souvenirs, parmi les plus féroces et les plus cocasses, sur le siècle de Louis XIV.

 

Il était petit – un inconvénient qu’il tentait de surmonter à l’aide de hauts talons rouges, bien avant Louboutin. Il était de noblesse récente – une blessure qu’il tentait de cicatriser en écrivant du mal des autres. Il était injuste, cynique, persifleur – on lui prêtait tous les défauts, il prétendait en avoir plus encore – et pourtant, mieux que Molière et pire que La Bruyère, il a décrit sans fard les coulisses de son époque, dévoilant les secrets de famille les mieux gardés, les comédies sociales les plus hypocrites, bref, l’envers d’un décor qui ressemble tant au nôtre… Mais pour écrire la face cachée d’une époque, mieux vaut prendre de la distance par rapport au centre du pouvoir et, donc, s’éloigner de Versailles. C’est ainsi que de 1714 à 1746, il se retire discrètement au 218 boulevard Saint-Germain – la quasi campagne à l’époque – et commence la rédaction de ses célèbres Mémoires. Après avoir connu – et détesté – Louis XIV, apprécié avec modération le Régent et vu grandir Louis XV, il prend définitivement congé de la Cour et s’installe 17, rue du Cherche-Midi, où sa plume, trempée d’acide, s’en donnera à cœur joie. Tous ses contemporains y passent, déplumés de leur vanité, ridiculisés dans leurs prétentions, dans un jeu de massacre littéraire qui nous fascine encore. Il ne s’éloignera du cœur de Saint-Germain qu’à la fin de sa vie, pour l’actuel 102 de la rue de Grenelle. A sa mort, en 1755, cet impitoyable railleur étonna encore une fois : lui qui avait toujours dissimulé le moindre sentiment personnel pour mieux ironiser sur ceux des autres, réclama que son cercueil fut arrimé par des crampons de fer à celui de sa femme… afin d’être auprès d’elle pour l’éternité. Sa plus belle leçon. Une leçon d’amour.

Jacques Ravenne