© Antoine Zalc
Les passants qui foulent le pavé de la cour du Commerce-Saint-André ignorent souvent qu’a eu lieu, entre ses façades touristiques, un des événements clé de la Révolution française.
Bien sûr, Marat avait son imprimerie qui sortait des pamphlets enflammés au n° 8, bien sûr Danton habitait au n° 20 avec sa toute jeune épouse Louise et pourtant, c’est au n° 9 qu’un des épisodes les plus dramatiques de la Révolution s’est sans doute joué. Au printemps 1792, se tenait là l’atelier de Tobias Schmidt, un paisible facteur de clavecin qui se passionnait pour les concertos de Bach. A tel point que toutes les semaines, il allait titiller le clavier chez son ami monsieur de Paris, rue d’Enfer. Un nom de rue prémonitoire, car monsieur de Paris était le pseudonyme d’Henri Sanson, bourreau officiel de la capitale. Or, l’ami Henri, quand il ne pinçait pas le violon, avait un problème. Depuis plusieurs mois, deux médecins, le docteur Louis et Guillotin, avaient élaboré une étrange mécanique, censée remplacer la décapitation à la hache. Seul problème, on ne parvenait pas à trouver un menuisier qui voulut construire pareil instrument fatal, si ce n’est à un prix exorbitant. Le doux Tobias Schmidt ne voulut pas laisser son ami Sanson dans l’embarras et, discrètement, se mit à édifier, dans son atelier, la terrible machine à tuer, rapidement surnommée la Veuve. Une fois taillée, rabotée et assemblée, il fallut l’essayer. Et c’est donc passage du Commerce que le docteur Guillotin, le bourreau Sanson et l’ébéniste Schmidt firent tomber le couperet sur d’innocentes brebis ! Le résultat fut un succès total, à un détail près : quand on essaya la machine infernale sur des cadavres empruntés à l’hôpital Bicêtre, les corps, sous la violence de l’impact, se mirent à entamer une terrible danse de Saint-Gui, vraiment du plus mauvais effet pour des exécutions qui devaient se tenir en public… Nul ne sait vraiment qui régla le problème, mais la légende dit que le roi Louis XVI, auquel on montra un jour le projet, trouva d’un coup de crayon la solution : il suffisait de donner à la lame une forme oblique. Une suggestion dont il expérimenta lui-même la tranchante efficacité : il fut guillotiné, en un seul coup de couperet, le 21 janvier 1793.
Jacques Ravenne