Frédéric Beigbeder
Cinq ans après votre départ pour Guéthary, vous regrettez Saint-Germain-des-Prés ?
Quand on a vécu 50 ans à Saint-Germain, on ne peut qu’en avoir la nostalgie ! J’ai un peu retourné ma veste… Vu du Pays Basque, si je voulais définir Paris, je dirais que c’est toujours Saint-Germain-des-Prés. C’est là qu’il faut être, au Flore, chez Lipp, sur le boulevard Saint-Germain…
Mais le quartier n’a-t-il pas changé ces dix dernières années ?
Si bien sûr, La Hune a été remplacée par Louis Vuitton mais bon, le quartier a conservé son âme et reste constitutif de Paris. Je reviens une fois par mois et je ne me sentirais pas à Paris si je ne dormais pas à La Louisiane et si je ne prenais pas mon petit-déjeuner au Bar du Marché. Si je veux voir des amis, des écrivains, je sais que c’est là que je les croiserai.
Que feriez vous si vous étiez le président de Saint-Germain-des-Prés ?
J’aime beaucoup ce que Benjamin Patou a fait de La Pérouse, il a su redonner vie à ce lieu. Donc j’investirais pour préserver l’histoire de Saint-Germain-des-Prés en créant un théâtre Molière rue de l’Ancienne-Comédie et, c’est mon fantasme absolu, je ressusciterais le club de jazz Le Tabou dans une cave du quartier. Je suis jaloux de la génération des existentialistes !
Propos recueillis par Philippe Latil
Nicolas d’Estienne d’Orves
(photo © Marlène Delcambre)
Les années passant, une décennie n’est qu’un éclair. Et hop, 2012 a gagné une dizaine ! Qui l’a vue filer ? Pas moi, en tous les cas. Au-delà d’une certaine limite, arrive le temps où l’on vieillit plus vite que son biotope. Les cheveux grisonnent, la souplesse nous fuit, mais les murs, les toits, les rues, ne bougent plus. Saint-Germain est là, immuable, plutôt fringant, le sourire en coin, et l’on n’a plus le droit de moquer ses rides car on est devenu son aïeul. Happy birthday Cerise !
Inès de La Fressange
Votre premier souvenir à Saint-Germain ?
En réalité, je suis d’abord une provinciale, j’ai vécu à la campagne jusqu’à l’âge de 13 ans ! J’étais à peine entrée dans l’adolescence quand je suis « montée » à Paris pour retrouver mon frère à Saint-Germain. À cette époque, nous avions déjà tous les deux des tailles d’adultes, ce qui nous a permis d’entrer dans tous les grands cafés et même de découvrir Castel ! J’allais rue des Canettes acheter mes jeans au Bobshop et mes santiags, qui m’ont meurtris les pieds pendant des années, mais que j’adorais.
Depuis 7 ans, vous avez votre boutique concept-store rue de Grenelle. Pourquoi ici ?
Dans ma culture du vêtement et dans mes souhaits de provinciale, je savais déjà que c’est là qu’il fallait être. J’avais remarqué cette fonderie (ndlr : le lieu de sa boutique) qui existait depuis 100 ans. C’est un endroit authentique comme je les aime. Mes collections sont toutes Made in France mais elles pourraient tout autant porter l’appellation Made in Saint-Germain-des-Prés.
Saint-Germain vous fait-il encore rêver ?
Ce qui me fascine ici, c’est le « télescopage » avec le passé. Quand on entre au musée Delacroix, sur la place Furstemberg, on se dit que Delacroix lui-même a eu exactement la même vision que nous. C’est pareil, pour Lipp, le Flore ou les Deux Magots, avec tous les écrivains qui y ont presque séjourné. Quand je regarde l’église Saint-Germain, pour moi, c’est une carte postale ; chez moi on achète ma marque mais aussi plein de choses qui font penser à ici, à Paris.
En revanche, je trouve détestable toutes ces grandes marques de luxe, qui n’ont rien à faire là ! Les commerces de proximité manquent, tout comme un coffee shop et des plots pour accrocher les vélos. Et la disparition de la librairie La Hune, quel dommage.
Propos recueillis par Carole Fernandez